Focus : Location meublée touristique : Une victoire incertaine pour la ville de Paris

AIRBnB : SELON L’AVOCAT GENERAL DE LA CJUE, L’ENCADREMENT DES LOCATIONS DE MEUBLES TOURISTIQUES N’EST PAS INCOMPATIBLE AVEC LE DROIT EUROPEEN

Le 2 avril 2020, l’avocat général de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), Maître Michel BOBEK, a rendu ses conclusions précisant sa position au sujet de la validité de la règlementation nationale qui encadre l’activité de locations meublées touristiques.

Un avis très attendu tant en raison de l’impact économique qu’il est susceptible de constituer sur le devenir de l’activité des locations saisonnières, que sur le sort de l’ensemble des assignations faites par la Ville de Paris à l’encontre de près de 300 présumés fraudeurs, dont les procédures sont à ce jour gelées en attente de la prise de position future de la Cour de Justice de l’Union Européenne.

En effet, c’est suite à un arrêt en date du 15 novembre 2018, que la troisième chambre civile de la Cour de cassation a sursis à statuer et a saisi la CJUE de plusieurs questions préjudicielles, notamment celle de la conformité de la règlementation nationale aux exigences du droit européen, et plus précisément encore, à la directive européenne 2006/123 dite « Service » (portant sur le principe de libre prestation de service).

Si l’avis de l’avocat général semble aller en faveur de la Ville de Paris qui s’est aussitôt dit « soulagée » dans la presse, il n’en reste pas moins que cette victoire reste à ce jour incertaine, la CJUE n’étant liée par ces conclusions.

Dans quel contexte ?

Face à l’expansion des locations meublées touristiques, souvent exercées en infraction, la Ville de Paris ne cesse de renforcer l’encadrement juridique en instaurant des restrictions et contrôles, afin de réguler ce secteur qui se présente comme un risque majeur de pénurie de logement d’habitation.

Selon une étude menée, « les amendes infligées aux propriétaires louant illégalement sur Airbnb leur logement dans la capitale s’élèvent à 2,1 millions d’euros en 2018. Une hausse de plus de 61% par rapport à 2017 où 1,3 million d’euros avaient été réclamés par les tribunaux » ainsi que le rapporte M. ERRARD – Le Figaro Immobilier (mis à jour le 09/01/2019).

RAPPEL DE LA REGLEMENTATION NATIONALE (Art L 631-7 CCH)

Dans les villes de plus de 200.000 habitants, à Paris et au sein de certains départements de la petite couronne parisienne (Hauts-de-Seine, Val de Marne, Seine Saint Denis), seules les résidences principales peuvent faire l’objet de location de meublés touristiques, dans la limite de 120 jours par an.

L’article L 631-7 du Code de construction et de l’habitation dispose que « le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage au sens du présent article ».

Ainsi, dès lors que le bien offert en location de courte durée ne constitue pas la résidence principale, il est nécessaire d’obtenir au préalable une autorisation de changement d’usage délivrée par le Mairie de la commune où se situe le bien.

A défaut, le propriétaire s’expose à une sanction pour fraude correspondant à une amende civile pouvant aller jusqu’à 50.000 euros.

Dans certaines villes où le développement de cette activité est en croissance constante, notamment à Paris et Lyon, la délivrance de cette autorisation nécessite qu’une « compensation » concomitante soit offerte pour palier à la pénurie d’habitat que génère la transformation d’un logement « classique » en AirBnB.

Cette règlementation, mise en place par les communes dans un souci de protection de l’habitat s’avère pour nombre de particuliers, lourde et onéreuse, ce qui explique le nombre d’infractions révélées à l’issue des contrôles menés par les agents de la Ville.

C’est dans le cadre de cette règlementation que la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a été saisie suite à un renvoi préjudiciel.

LES 3 QUESTIONS PREJUDICIELLES

La CJUE est appelée à trancher au sujet des 3 questions préjudicielles suivantes :

  • La règlementation des locations de meublés touristiques est-elle soumise à la directive européenne 2006/123 portant sur la libre prestation de service ?
  • Dans l’affirmative, la lutte contre la pénurie de logement constitue-elle un motif impérieux d’intérêt général ?
  • Dans l’affirmative, les conditions de proportionnalité et de non-discrimination prévues par le droit européen sont-elles respectées au niveau national ?

L’ARGUMENTAIRE de Me BOBEK

I. S’agissant de la compatibilité du régime de changement d’usage national avec le droit européen, l’avocat général confirme sans difficultés l’applicabilité de la directive européenne 2006/123.

Il précise que les dispositions nationales et municipales encadrant la location touristique constituent un régime d’autorisation au sens de la directive.

II. S’agissant du caractère impérieux d’intérêt général, justifiant l’application d’une telle procédure d’autorisation, l’avocat général indique « ni le droit de propriété, ni la liberté d’entreprise n’ont de caractère absolu » et à ce titre ils peuvent être limités.

Dans cette logique, Maître BOBEK ajoute que « lutter contre une pénurie de logements et chercher à garantir la disponibilité de logements suffisants (destinés à la location de longue durée) et abordables (en particulier dans les grandes villes), ainsi que la protection de l’environnement urbain, constituent des justifications valables pour l’établissement de régimes d’autorisation en général fondés sur une politique sociale. De telles raisons peuvent également être invoquées afin de justifier les critères prévus par un régime d’autorisation. ».

Dès lors, il retient que les conséquences que peuvent générer les locations de meublés touristiques justifient légitimement un cadre juridique prévoyant des règles contraignantes.

III. Cependant, et c’est ce que prévoit notamment la directive européenne, il est nécessaire que certaines conditions soient réunies, savoir :

  • L’objectif poursuivi ne peut pas être atteint par le biais d’une mesure moins contraignante,
  • Le régime d’autorisation doit être proportionnel et non discriminatoire,

Le critère de la proportionnalité :

Le critère de la proportionnalité ne peut s’évaluer qu’en fonction de chaque marché local prévoyant un régime d’autorisation de changement d’usage.

Il indique à juste titre que « pour être proportionnel, la détermination de la nécessité d’un régime d’autorisation devrait être fondée sur des données spécifiques concernant le marché du logement dans les communes où il est envisagé d’instaurer un tel régime. »

Et c’est donc en considération des besoins et spécificités du marché du logement au niveau local, qu’il conviendra d’adapter les moyens mis en place pour lutter contre la pénurie de logement.

Le respect de la non-discrimination :

A Paris, la délivrance de l’autorisation de changement d’usage est subordonnée à l’obtention d’une compensation qui consiste à présenter un bien à usage « autre que l’habitation » d‘une surface équivalente (voire du double en fonction du secteur où se situe le bien) ce qui peut s’avérer lourd, complexe et couteux.

C’est précisément ce dispositif qui est remis en cause par l’avocat général.

A son sens trop restrictive, il avance que la compensation ne peut être accessible qu’aux plus fortunés (promoteurs immobiliers et multi-propriétaires, en mesure de transformer les surfaces nécessaires à l’obtention de l’autorisation) « jouant déjà au Monopoly (en grandeur nature) » au détriment des particuliers, propriétaires d’un bien unique.

Au soutien de cette analyse, il met en avant diverses alternatives plus nuancées en suggérant de prévoir « quelques exceptions telles qu’une limitation de l’obligation de compensation aux locaux supérieurs à certaines surfaces, ou une limitation aux propriétaires ayant plusieurs locaux d’habitation, ou la délivrance d’autorisation temporaires non soumises à compensation qui seraient réexaminés périodiquement et éventuellement redistribuées ».

On comprend alors que si Maître BOBEK critique clairement le modèle parisien, il n’indique pas pour autant que le modèle d’obligation de compensation est incompatible à la directive européenne.

C’est à la cour de cassation qu’il laisse le soin de trancher la question.

LA CJUE EST-ELLE LIEE PAR L’AVIS DE L’AVOCAT GENERAL ?

Si la ville de Paris a exprimé son soulagement à l’issue de l’avis rendu par l’avocat général, c’est parce que la CJUE valide souvent la prise de position et les arguments présentés en toute impartialité par ce dernier.

Pour autant, elle n’est pas tenue de suivre ses conclusions et il conviendra de patienter jusqu’au 22 septembre 2020 pour connaitre la décision finale qui sera rendue par les juges de la Cour de Justice de l’Union Européenne.

En d’autres termes : rien n’est encore joué pour la Ville de Paris.

A suivre…

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