Alors que nous patientions depuis le dernier arrêt rendu le 22 septembre 2020 par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), pour connaitre la décision de la Cour de cassation, celle-ci met fin à un long parcours contentieux le 18 février 2021, en rendant non pas un arrêt pour faire part de sa position, mais trois arrêts distincts le même jour, tous apportant des précisions majeures en matière de changement d’usage et de compensation dans le cadre de la location de meublés touristiques.
Dans son 1er arrêt, la Cour de cassation a d’abord confirmé que le mécanisme de compensation applicable à Paris était conforme au droit de l’Union européenne, officialisant de la sorte la victoire de la Ville de Paris contre les bailleurs de meublés touristiques en situation irrégulière.
Mais nous le verrons plus tard, cette victoire reste nuancée par un second arrêt rendu le même jour, qui aura sans doute pour effet de diminuer les futures actions en justice à l’initiative de la Ville de Paris, en vue de faire condamner un propriétaire qui n’aurait pas sollicité d’autorisation de changement d’usage en amont de son activité.
Dans un 2nd arrêt, la Cour de cassation vient renforcer les règles relatives à la preuve de l’usage d’habitation, à la charge de la Ville de Paris.
La rigueur attendue par les Tribunaux au sujet des éléments à produire va très certainement induire un nombre de demande moindre de la part de la Ville de Paris, dans le cadre de sa lutte contre la pénurie de logements « classiques ».
Enfin, dans son dernier arrêt, la Cour de cassation se prononce au sujet des notions de « courte durée » et de « répétitions » au sens de l’article L 631-7 du code de la construction et de l’habitation. Cet apport inattendu et pour le moins surprenant vient mettre un terme aux baux dits de « moyennes durées ».
Ainsi, les problématiques soulevées dans le cadre de la réglementation applicable en matière de changement d’usage trouvent enfin des réponses, notamment la règlementation parisienne au regard du droit européen.
SOVEICO revient sur les enseignements de ces 3 décisions et vous apporte un éclairage sur la portée de chaque arrêt, rendus par la Cour de cassation le 18 Février dernier.
Rappel du contexte :
Dans son arrêt du 22 septembre 2020, la CJUE laissait le soin à la Cour de cassation de se prononcer sur les conditions de délivrance des autorisations de changement d’usage et notamment s’agissant de la mise en œuvre du mécanisme de compensation lorsque la demande était déposée en vue de transformer le bien en meublé touristique à Paris.
La difficulté majeure laissée en suspens était celle de la proportionnalité de la contraignante règlementation en vigueur à Paris (changement d’usage avec compensation) par rapport au but poursuivi : le maintien d’un équilibre et d’une harmonie de l’aménagement du territoire.
I- Cass., Civ. 3ème, 18 février 2021, n° 17-26.156 : La Cour de cassation valide le dispositif d’autorisation préalable et le mécanisme de compensation applicable à Paris
Pour rappel l’article L 631-7 al 1 du CCH prévoit que les propriétaires de résidence secondaire doivent obtenir une autorisation de changement d’usage de leur bien à « usage d’habitation », vers un usage « autre que l’habitation », afin de pouvoir valablement le mettre en location meublée touristique ; ce changement d’usage étant soumis au mécanisme de compensation.
Concrètement, le respect du mécanisme de compensation impose auxdits propriétaires de faire l’acquisition de « commercialité » répondant à des règles plus ou moins complexes, et en contrepartie d’une valeur qui varie selon le secteur où se situe le bien.
Si la conformité de la réglementation nationales aux normes européennes avait été reconnue par un précèdent arrêt en date du 22 septembre 2020, il restait aux juridictions nationales de se prononcer sur la proportionnalité du dispositif de compensation mis en place à Paris, au regard de l’activité concernée.
Et c’est toute la portée du premier arrêt rendu le 18 février 2021, puisque la Cour de cassation a confirmé que le mécanisme de compensation applicable à Paris était conforme au droit de l’Union Européenne et valide l’obligation de compensation prévue par la Ville de Paris, qui « ne vas pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif recherché (le maintien d’une harmonie de l’aménagement du territoire).
La Haute Juridiction estime que la règlementation en vigueur n’apparait pas comme disproportionné en ce qu’elle tient compte des spécificités du marché locatif au sein de chaque secteur de compensation.
Par cette solution tant attendue, la Cour de cassation met point final à une bataille judiciaire qui aura duré près de 5 ans entre la Ville de Paris et les propriétaires de biens immobiliers ayant mis leurs biens en location meublée touristique, sans avoir obtenu en amont une autorisation préalable de la part de la Mairie Paris.
Dès lors, l’ensemble des actions diligentée par la Ville de Paris à l’encontre de propriétaires bailleurs de meublés touristiques, allaient enfin connaitre une issue et notamment le montant de l’amende due dans le cadre de cette infraction.
II- Cass., Civ. 3ème, 18 février 2021, n°19-11.462 : La Cour de cassation rappelle la nécessité pour la Ville de Paris de démontrer l’usage d’habitation du local au 1er janvier 1970.
Rappel des faits :
Dans le cadre d’une assignation à l’encontre d’un propriétaire bailleur type « Airbnb », n’ayant pas obtenu au préalable d’autorisation de changement d’usage, la Ville de Paris a produit aux Tribunaux au soutien de ses prétentions, les deux éléments suivants :
- Une fiche de révision foncière « Modèle H2 » datée de 1978,
- Un relevé cadastral faisant état de l’absence des travaux réalisés, pouvant entrainer la modification de l’usage du bien.
La Haute Juridiction a rejeté ces éléments, les estimant insuffisants en l’espèce pour démontrer l’usage du bien au 1er janvier 1970, tel que l’exige l’article L 631 -7 du CCH.
La portée de cette décision n’est pas nouvelle. Elle s’inscrit dans la continuité de récents arrêts en date dès le 28 novembre 2019 et 28 mai 2020 aux termes desquels, la Cour s’était prononcée au sujet de la charge de la preuve en matière de changement d’usage.
En effet, à l’occasion de ce second arrêt, elle ne fait que confirmer et renforcer la jurisprudence antérieure en retenant que c’est à la Ville de Paris d’apporter la preuve de l’usage d’habitation au 1er Janvier 1970.
Cela signifie qu’à défaut d’être en mesure d’apporter les éléments de preuve nécessaires dans le cadre de ses actions en justice, la Ville de Paris ne pourra prétendre déclencher l’article L 631 -7 du CCH et invoquer le respect du mécanisme de changement d’usage avec compensation.
Cette solution aura sans doute pour effet de mettre un frein aux actions intentées par cette dernière qui devra faire preuve d’une démonstration rigoureuse de l’usage pour pouvoir apporter une base légale à ses demandes auprès des juridictions compétentes.
III- Cass., Civ. 3ème, 18 février 2021, n°19-13.191 : La Cour de cassation se prononce sur les notions de courte durée et de répétition, caractéristiques de la location meublée touristique.
u>Contexte :
Dans cet arrêt, la question était de savoir si la location à deux reprises au cours de la même année, pour des durées respectives de quatre et six mois, constituait un changement d’usage au sens de l’article L 631-7 du CCH.
A cette question, la Cour de cassation vient préciser la notion de « courte durée » auquel fait référence l’article L 631-7 du CCH mettant ainsi un terme aux baux de moyenne durée.
De manière très stricte, elle estime que deux locations, la même année, quelles que soient leur durée constituent une répétition et de courte durée (car inférieure à une année) entrainant par conséquent un changement d’usage.
C’est ainsi que toute location consentie pour une durée inférieure à un an, constitue de facto une location de « courte durée ».
On s’interroge alors inévitablement sur le sort des baux consentis initialement pour une durée d’un an et qui font l’objet d’une résiliation avant le terme prévu au contrat.
Le bailleur contraint de trouver un nouveau locataire au cours de la même année se verrait-il opposer la notion de location de « courte durée » et de « manière répétée », l’obligeant ainsi à modifier l’usage de son bien ?
C’est là toute la sévérité de cette dernière décision. La Haute juridiction considère désormais, qu’à l’exception du bail mobilité, instauré par la loi du 23 novembre 2018 et dont la durée s’étend entre un et 10 mois, ou de la possibilité de louer sa résidence principale dans la limite de 120 jours par an, ou enfin le bail consenti à un étudiant pour une durée de 9 mois, toute location inférieure à un an est qualifiée de courte durée.
A ce jour, une trentaine d’agents assermentés de la Ville de Paris mène activement des enquêtes de contrôle afin de poursuivre tout bailleur de meublé touristique qui se trouverait en infraction.
C’est pourquoi il est nécessaire de s’assurer que l’activité exercée au sein de son bien immobilier est conforme au Règlement Municipal en vigueur, au risque d’être passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 50.000,00 euros.
SOVEICO se tient à votre disposition pour toute information complémentaire sur le sujet.